Comme on l'a dit dans un précédent article, à la vue du succès actuel et en devenir de ces actifs, plusieurs banques centrales, dont la Banque Centrale Européenne, se sont mobilisées afin d’imaginer la création et la commercialisation d’une version digitale des monnaies officielles, notamment à la suite de la pandémie de Covid-19 puisque l’économie numérique avait, encore une fois, montré ses bénéfices. On entend ainsi parler de e-yuan en Chine, ou de e-dollar aux Etats-Unis.
I. Définition & Réflexions
La monnaie cryptographique d’une banque centrale s’inscrit dans l'air du temps concernant la limitation, voire la disparition de la monnaie fiduciaire comme on l'a dit dans un précédent article avec la multiplication des échanges en monnaie électronique (via internet, via ApplePay, etc). Celle-ci serait remplacée par une monnaie digitale cryptographique émise par la banque centrale, et circulant comme la monnaie fiduciaire, mais de façon digitale.
Les enjeux sont alors immenses en ce qu’ils affecteront la relation de chaque individu à la monnaie. Il s’agit là d’une illustration supplémentaire de la dématérialisation de nos sociétés, de leur passage à l’immatériel, y compris dans ses fondements les plus profonds que constitue la monnaie. Déconnectée de tout support physique, la monnaie ne sera plus qu’une écriture digitale dans un smartphone ou tout autre support permettant à la fois de conserver et de transférer ces actifs digitaux.
Ainsi, on l’a vu avec Facebook[1], avec la Chine[2], et désormais avec l’Union Européenne[3], il existe une réelle volonté actuelle des GAFAM et des États de créer leur propre cryptomonnaie.
On peut alors se demander quel est l’objectif d’une telle création et transformation du système bancaire actuel. Si l’on pense complot, on peut imaginer ici une volonté d’augmenter leur pouvoir sur les populations, sur l’économie et la vie des individus, en résumé sur notre vie privée. Et quand on prend l’exemple de la Chine, par l’intermédiaire du téléphone et des données numériques dématérialisées, le gouvernement se donne le droit de conserver et d’enregistrer toute l’activité des individus afin de mettre au point un « score social[4]» basé sur ces informations. Ce score social évalué par des algorithmes contraint les populations à suivre un « bon » comportement car sinon l’algorithme viendra restreindre leurs libertés individuelles en faisant varier le prix des biens, ou en refusant l’accès à certains services. Ce mécanisme permet ainsi une surveillance totale des populations et de leurs comportements.
Dans la même perspective, la suppression de l’argent liquide par une monnaie digitale permettrait de surveiller et de contrôler tous les paiements financiers de bout en bout... Quelles en seront les conséquences ?
II. Avantages & Inconvénients
Quoi qu'il en soit, une Monnaie Digitale de Banque Centrale (ci-après « MDBC ») permettrait d’offrir divers avantages indéniables. Tout d'abord, cela permettrait une protection illimitée de l'actif en étant adossé à une banque centrale et permettrait d'apporter une solution afin de combler les risques apportés par ces crypto-actifs. Avec une MBDC, l’actif numérique serait beaucoup moins volatile grâce aux garanties qui y sont attachées et le statut d’une banque centrale « libre de toute défaillance[5]». La réglementation lui afférant renforcerait également la confiance du public envers le système.
Bien entendu, les gouvernements et régulateurs souhaiteront mettre en place une économie basée uniquement sur les MDBC puisque cela serait, à première vue, plus stable et plus facile à contrôler, or cela semble également compliqué et inopportun puisque l’introduction des banques centrales dans le circuit financier causerait un changement profond des dynamiques de concurrence au sein des marchés en les plaçant comme des concurrents, autant pour les cryptos-actifs que pour les banques commerciales. De même, d'importantes réformes seraient nécessaires pour modifier le cadre réglementaire et intégrer les banques centrales au système bancaire et financier.
En effet, avec une réglementation moins stricte, cela aurait pour effet d'augmenter les barrières à l’entrée de ce marché pour les autres cryptos. Si actuellement les cryptos ne font pas face aux mêmes réglementations et sont moins régulées que les autres activités financières, la situation pourrait changer si ces actifs venaient à devoir respecter les mêmes conditions et modalités que les autres. Or, si les régulateurs venaient à créer des normes rigides, coûteuses, et complexes dans le même ordre d’idée que ce qui est actuellement en place, les cryptos-actifs pourraient alors finir de la même manière et avec les mêmes faiblesses.
III. Conclusion & Opinion
Il faut donc bien faire attention et prendre conscience que des compromis devront être réalisés pour que ces actifs suivent des règles moins strictes. Les autorités européennes devront donc accepter que ces actifs ne soient pas réglementés selon les mêmes modalités que celles du marché actuel et accepter alors une augmentation de l’informalité et de l’anonymat pour certaines transactions comme cela est déjà le cas dans des opérations en espèces.
De même, pour les transactions d’un faible montant, la protection des consommateurs pourra être réduite notamment afin de conserver des coûts de transaction faibles et réduire les obstacles réglementaires.
Enfin, la mise en place de normes de base pour toutes les cryptomonnaies, ainsi que la mise en place d’une taxonomie internationale pour l’écosystème est évidemment primaire pour une coopération internationale efficiente.
Quoi qu’il en soit, il semble que le projet d’euro numérique de l’Union Européenne n’aboutira pas avant plusieurs années. Et cela semble contraignant par rapport à la vitesse des avancées et innovations technologiques. Ainsi, après une phase de test préliminaire, le Conseil des gouverneurs de la BCE a lancé, le 14 juillet 2021, une phase d’étude du projet d’euro numérique pour une durée de 24 mois. Pendant cette période, il sera alors nécessaire de déterminer si ce projet doit se faire sous la forme d’une MDBC « de gros », qui serait alors réservée aux établissements financiers pour des transactions aux montants élevés, ou sous la forme d’une MDBC « de détail », accessible à tous.
Cet article se termine ici et je vous laisse méditer sur l'opportunité d'une telle proposition. En espérant que cet article vous ait plu, je vous souhaite une très agréable journée et à très vite !
[1] Lybra – Diem de Facebook [2] Le e-yuan [3] L’euro numérique [4] Ce score social est une « note » fabriquée à partir d’une série de comportements (d’achats par exemple).
[5] Bank of England, Central Bank Group to Assess potential cases for central bank digital currenciesk, 21 janvier 2020
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