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Livre-moi un statut juridique !

Dernière mise à jour : 30 janv. 2021

Récemment, on a vu l'entrée dans le dictionnaire du mot « ubérisation » suite à la performance et au développement incroyable de Uber et d’autres plateformes similaires. Selon le Dictionnaire Larousse, cette notion désigne la « remise en cause du modèle économique d'une entreprise ou d'un secteur d'activité par l'arrivée d'un nouvel acteur proposant les mêmes services à des prix moindres, effectués par des indépendants plutôt que des salariés, le plus souvent via des plateformes de réservation sur Internet ».


Or, il n'est pas précisé le problème sous-jacent de l'exploitation des coursiers-livreurs-chauffeurs travaillant dans des situations précaires pour de maigres salaires, qui plus est non protégés par une couverture sociale en cas d'accident ou de maladie professionnelle...

Revenons d'abord sur le problème de la rémunération. En effet, au départ, le métier de livreur était intéressant car les plateformes proposaient des salaires d’environ 7 à 10€ de l’heure avec des majorations par commande réalisée (environ 2 à 4€).


Or, avec l’augmentation et la fidélisation de la clientèle pour ces services et l’augmentation de la main d’œuvre disponible, les plateformes ont alors pu baisser la rémunération des courses et durcir leurs conditions de travail, notamment en poussant les coursiers à prendre des risques sur les routes pour aller au plus vite afin de maximiser le salaire puisque désormais les livreurs sont rémunérés en fonction des kilomètres parcourus !


De l'autre côté, le statut d'auto- entrepreneur des livreurs les place sous le régime des indépendants, ce qui fait que ces derniers ne bénéficient d'aucune protection sociale en cas d'accident, alors même que les travaux de mobilité comme ces derniers sont très dangereux. Ce problème de protection a été mis en évidence d'autant plus avec la Covid-19 puisque les coursiers ont alors été "forcés" de travailler pendant les différents confinements et couvre-feu puisque leur statut ne leur permet pas non plus de bénéficier du dispositif d'activité partielle !


De plus, avec ce statut précaire, on voit même apparaître des dérives pathologiques où certains travailleurs en règle vont créer des comptes et les « louer » à des personnes en situation irrégulière en échange d’un pourcentage. Etant donné que ces sans-papiers sont obligés de travailler pour subvenir à leurs besoins et survivre, ils n’ont alors pas d’autres choix que d’accepter.


Pour contrer cela, les livreurs tentent de s’appuyer sur des organisations syndicales afin d’appuyer leur demande de requalification de leur contrat de prestation de services en contrat de travail permettant, d’une part, d’obtenir alors une protection sociale, et d’autre part, de fonder la demande de régularisation des travailleurs sans-papiers.


Ainsi, dans ce court article, il me semble intéressant de revenir sur la qualification du contrat de travail (I), puis de voir s'il serait possible de mettre en place un régime intermédiaire (II), et enfin de comprendre la protection sociale des indépendants (III).


I. Sur la requalification en contrat de travail


Concernant les plateformes, ces dernières considèrent être seulement des plateformes d’intermédiation, c'est-à-dire des plateformes de mise en relation entre un client (à la recherche d’un service) et un commerçant (prestataire de ce service). Dès lors, son activité ne serait que celle d’un intermédiaire et ne serait pas l'employeur des livreurs, coursiers, ou chauffeurs !

-> Malgré tout, dans une affaire concernant un chauffeur VTC de chez Uber, la Cour de Justice de l’Union Européenne avait précisé en 2017 que la plateforme Uber n’était pas une société de l’information limitant son activité à de la mise en relation, mais plutôt une entreprise de transport dont l’intermédiation numérique n’était que l’accessoire. Dès lors, il y avait un lien de subordination ! (CJUE, 20 décembre 2017, Elite Taxi)


De plus, les plateformes affirment ne pas être liées par un contrat de travail puisque les livreurs sont des auto-entrepreneurs indépendants. Ainsi, il me semble pertinent de revenir sur les éléments de qualification du contrat de travail.


1. En droit positif


En effet, en droit français et selon la Jurisprudence, il est prévu qu'un contrat de travail soit caractérisé par 3 éléments :

o Une rémunération ;

o Une prestation de travail effective et personnelle ;

o Un lien de subordination.


Ce lien de subordination est l'élément essentiel du contrat de travail puisqu'il caractérise la subordination juridique et se décompose en 3 éléments :

o Le pouvoir de donner des instructions ;

o Le pouvoir d’en contrôler l’exécution ;

o Le pouvoir de sanctionner le non-respect des instructions données (Soc, 13 novembre 1996, Société Générale).


De l’autre côté, un travailleur indépendant se caractérise par 3 éléments :

o La possibilité de se constituer une clientèle propre ;

o La liberté de fixer ses tarifs ;

o La liberté de fixer les conditions d’exécution de la prestation de service.


2. En réalité


Si l’on regarde les faits et la situation des travailleurs dans ces plateformes de livraison, on peut en tirer différentes conséquences.

>Tout d'abord, il est facilement observable que la plateforme correspond à un service de prestation de livraison créé et entièrement organisé par la société, à travers lequel il n’y a pas de clientèle propre au livreur qui ne fixe pas non plus ses propres tarifs, ni les conditions d’exercice de sa prestation de livraison.

> De plus, on peut également observer que la plateforme impose au livreur un itinéraire de livraison, qui n’est pas connu à l’avance, sans lui donner la possibilité de refuser une commande au risque de "se faire virer", alors même qu'il est impossible de cesser un contrat de prestation pour refus de prendre une commande !

> Enfin, la plateforme a la possibilité de déconnecter temporairement le livreur de son application lorsqu’il refuse de réaliser une course, et même de lui faire perdre l’accès à l’application.


Dès lors, à la vue de l'ensemble de ces éléments, on peut facilement établir qu’il y a exécution d’un travail de la part des livreurs pour la plateforme de livraison et sous son autorité puisqu’elle peut lui donner des ordres et directives, ainsi que contrôler et surveiller les livreurs ! Dans cette perspective, un arrêt de la Chambre Sociale de la Cour de Cassation a reconnu que la relation de travail d’un chauffeur de VTC avec la société Uber constituait un contrat de travail (Soc, 4 mars 2020, Uber) !


Si l’on se place du côté de la plateforme, il est possible de dire qu’il n’y a AUCUNE obligation de connexion du chauffeur, et qu’il n’y a PAS de sanctions en cas d’absences de connexion. Mais là aussi, le droit de l’Union intervient et retient que la qualification de « prestataire indépendant » du droit national n’exclut en rien qu’une personne doit être qualifiée de « travailleur » lorsque son indépendance n’est que fictive et déguise une véritable relation de travail (CJUE, 13 janvier 2004, Allonby) !


Ainsi, par cet arrêt Uber du 4 mars 2020, la Cour met en évidence que la présomption de non-salariat posée à l’article L8221-6 du Code du Travail peut être renversée en cas d’accomplissement d’une prestation dans des conditions plaçant le travailleur dans un lien de subordination juridique permanent à l’égard du donneur d’ordre.


II. Sur la création d’un régime intermédiaire


Au Royaume-Uni, il est prévu un régime intermédiaire entre prestataire indépendant et travailleur salarié avec le régime des « workers », tout comme en Italie ou en Espagne avec le régime des « TRADE ».


Or, en France, ce régime intermédiaire n’existe pas, c'est pourquoi je voulais aborder la question ici notamment car l’élaboration d’un tiers-statut permettrait aux livreurs de bénéficier d’une partie des droits à la protection sociale et des droits sociaux dont bénéficient les travailleurs salariés.


Or, il semble que cela ne soit pas la décision retenue en droit français afin "éviter incertitudes juridiques et contentieux sur le statut des travailleurs, et surtout éviter d'inciter les employeurs à remplacer leurs travailleurs classiques par ces nouveaux tiers travailleurs". Dès lors, la création de ce régime intermédiaire semble difficile à concevoir car elle ne ferait que complexifier le droit du travail et la situation des coursiers-livreurs.


III. Sur la protection sociale des indépendants


Il semblerait donc qu’une bonne solution soit d’accorder une meilleure protection sociale aux travailleurs indépendants afin de sécuriser leur travail et par la même occasion celui des « travailleurs numériques ».


Demandons-nous alors où sont les différences entre régime salarié et régime des indépendants -> 3 différences majeures :

o Couverture sociale moindre concernant la retraite ;

o Absence de couverture maladie complémentaire obligatoire ;

o Absence de couverture obligatoire chômage et contre les accidents de travail.


Mais la plus importante question est alors de se demander :

- Comment répondre à ces problèmes ?

- Comment leur accorder une meilleure protection sociale ?


Une première hypothèse de solution serait d’intégrer les plateformes numériques de livraison à la problématique en mettant en place une forme d’autorégulation.

- C'est dans cette optique là qu'a été ainsi mis en place l’obligation de prise en charge par la plateforme des cotisations dues au titre d’une assurance volontaire souscrite par les travailleurs (article L7342-2 code du travail). Or, cette obligation n’est en réalité pas universelle et peu d’auto- entrepreneurs livreurs y ont droit.


Une autre hypothèse a été prévue avec la possibilité pour les plateformes de prendre une charte de responsabilité sociale permettant de renforcer les droits sociaux (Loi LOM, 24 décembre 2019). Or, cette charte, facultative, a été censurée par le Conseil Constitutionnel, ne donnant donc pas de portée à la charte prévue par la loi LOM.


Enfin une dernière hypothèse a été la création d’une allocation des travailleurs indépendants (ATI) versée par Pôle Emploi (Loi Pénicaud du 5 septembre 2018). Mais là aussi il est difficile d’y avoir accès puisqu’il faut remplir certaines conditions restrictives (revenus antérieurs minimaux, minimum de ressources, etc).


Conclusion et pistes de réflexions


Rappelez-vous, le Président Macron avait fait la promesse d'octroyer une couverture chômage « À TOUS LES TRAVAILLEURS » !... Cette utopie semble aujourd'hui bien loin puisqu’aujourd’hui plus de 40% des indépendants sont exclus du droit au chômage. Peut-être est-ce de là qu'est venue l’idée du gouvernement de faire continuer les livreurs et coursiers pendant la pandémie de Covid?


Bien entendu, il est possible d'imaginer diverses pistes de réflexion comme :

- Mettre en place d'une obligation des plateformes numériques de prévoir une couverture complémentaire en matière de santé ;

- Prévoir une affiliation obligatoire en matière d’accident du travail et de maladies professionnelles ;

- Prévoir une obligation d’adhésion à une caisse de congés payés sur le modèle du secteur du BTP.


De même, des livreurs décident maintenant de se réunir dans une SCOP (Société Coopérative de Production) afin de bénéficier de meilleures conditions de travail et notamment d’une couverture sociale, d’un CDI, de congés payés, et surtout d’être respectés ! (Voir les Coursier Bordelais).


Pour finir, je vous laisserai réfléchir sur le fait que le championnat français de football professionnel (Ligue 1) soit sponsorisé par Uber Eats ...?


Comment est-il possible de voir une plateforme numérique d’esclavage moderne être le partenaire numéro 1 du championnat français et d’entendre son nom répété sur tous les plateaux télévisés ...?





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