De nos jours, le dérèglement climatique et les dangers environnementaux sont entrés dans les moeurs et font parties des discussions et informations nous entourant quotidiennement. De même , l’État français s’engage au niveau international, européen, et national à respecter des objectifs de réduction des gaz à effet de serre et autres. Mais, rien n’est fait. Gandhi disait : « On reconnaît le degré de civilisation d’un peuple à la manière dont il traite ses animaux ».
Comment analyser cette citation de nos jours quand la biodiversité tout entière est mise en danger par nous autres humains ?
Serions-nous la « pire civilisation » ayant existé ?
C’est dans cette optique que s’inscrit « L’affaire du siècle ».
« L’affaire du siècle » est un recours en justice déposé devant le Tribunal Administratif de Paris en mars 2019 par 4 associations, accompagné d’une pétition ayant rassemblé plus de 2 millions de citoyens et citoyennes faisant ainsi de cette mobilisation, la plus massive de l’histoire de France, afin que les droits fondamentaux des citoyens soient garantis face aux changements climatiques.
Les 4 associations porteuses du recours sont Notre Affaire à Tous, la Fondation Nicolas Hulot pour la Nature et l’Homme (FNH), Greenpeace France et Oxfam France, elles « assument ainsi la responsabilité juridique et financière de ce recours porté au nom de l’intérêt général » (selon le site internet de « L’affaire du siècle »).
Ainsi, en date du 3 février 2021, le Tribunal Administratif de Paris rendait sa décision dans cette affaire. Mais, avant de parler de la solution apportée par le Tribunal Administratif de Paris, revenons tout d’abord sur les fondements juridiques, je conclurai ensuite sur les conséquences induites par cette solution (TA Paris, 3 février 2021, Affaire du siècle, n°1904976).
I. Procédure et fondements juridiques
Avant de s'attaquer à 2 fondements juridiques, il est important de rappeler la procédure suivie par "l'Affaire du Siècle".
En effet, le 14 mars 2019, les 4 associations requérantes déposaient un recours contentieux au TA de Paris suite à une demande préalable indemnitaire rejetée par l’État courant février, qui fut suivi du dépôt d’un mémoire s’appuyant sur pièces et arguments afin de démontrer l’inaction politique en matière de lutte contre les changements climatiques.
Suite à cela, c’est seulement le 23 juin 2020, 16 mois après « l’Affaire du siècle », que l’État répondait aux arguments. Les avocats des 4 associations requérantes réagissaient alors par un contre-mémoire, arguments, et témoignages supplémentaires.
L’instruction terminée le 9 octobre 2020, l’audience de « l’affaire du siècle » avait lieu en ce début d’année 2021, le 14 janvier 2021, et la décision du TA de Paris était rendue le mercredi 3 février 2021.
Dès lors, si l’on met en perspective la demande préalable des requérants, on peut observer différents points importants (demande préalable à retrouver ici : https://cdn.greenpeace.fr/site/uploads/2018/12/2018-12-17-Demande-préalable.pdf / 41 pages de travaux intéressants).
A. Les faits concrets
Tout d'abord, il faut savoir que la demande des associations requérantes se fonde sur un rapport du GIEC (Groupe d’Experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) concluant sur les conséquences d’un réchauffement planétaire de 1,5°C.
Ce rapport était évidemment essentiel à prendre en compte par les juges dans leur décision puisqu’il présente un niveau de crédibilité scientifique sans équivalent avec plus de 6.000 références scientifiques et plus de 42.000 observations.
Sans rentrer dans les détails et précisions concernant le rapport rappelle quelques éléments importants : acidification des océans, fonte des glaces et hausse du niveau des mers, dégradation de la qualité de l’air favorisant l’augmentation des phénomènes météorologiques extrêmes...
Si l’on reste en France, l’impact écologique est également énorme :
- Perte de biodiversité
- Dégradation de la qualité de l’air
- Exposition de la population à des phénomènes météorologiques extrêmes
- Exposition de la population à des pathologies nouvelles et/ou aggravées
- Disparition de la biodiversité...
B. Le droit
De nos jours, tout le monde connaît les dangers du changement climatique sur l’environnement et la santé humaine. Il est donc du devoir impératif de l’État de lutter activement et efficacement contre ces changements au titre de son obligation de protection de l’environnement, de la santé et de la sécurité humaine, compte tenu d’engagements internationaux, européens, et nationaux qu’il s’est engagé à respecter.
Malgré tout, pour faire en sorte d’agir face aux dérèglements climatiques et mettre en place des mesures contraignantes sur l’État, il est fondamental de se baser sur des textes et fondements juridiques. Dans cette optique, nous nous attarderons à 2 textes importants utilisés par les associations requérantes dans leur recours.
1. La Charte de l’Environnement
En premier lieu, il est nécessaire de s'attarder sur la Charte de l'Environnement de 2004. En effet, cette charte est particulièrement intéressante sur plusieurs points :
- Dès l’article 1er, la Charte dispose que : « Chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé ».
- De plus, la Charte continue et précis que « Toute personne doit contribuer à la réparation des dommages qu’elle cause à l’environnement (…) » (art.4) ;
- De même, elle met en valeur que « les politiques publiques doivent promouvoir un développement durable (… en conciliant) la protection et la mise en valeur de l’environnement, le développement économique et le progrès social » (art.6).
Outre ces dispositions très importantes, il faut savoir également que, en France, la pyramide des normes place en son sommet la Constitution ainsi que son bloc de constitutionnalité.
Or, le Conseil Constitutionnel ainsi que le Conseil d’État ont tous 2 affirmé la valeur constitutionnelle de ces dispositions, faisant ainsi de la Charte de l’environnement une partie prenante du bloc de constitutionnalité.
En résumé, placer la Charte de l’environnement au sein du bloc de constitutionnalité a pour conséquence de placer la Charte comme une des normes suprêmes du système juridique français.
Dès lors, cela IMPOSE aux pouvoirs publics qu’ils mettent en œuvre des mesures efficientes et directes pour la protection de l’environnement et la santé des citoyens français, impliquant donc des obligations POSITIVES avec des actions EFFECTIVES et CONTRAIGNANTES.
Si cette obligation n’est pas respectée, cela peut alors fonder une action en responsabilité CONTRE l’État sur le fondement du manquement à son devoir.
2. La CESDH
L’article 8 §1 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales dispose que : « Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale ». Ainsi, au titre de la CESDH et de la jurisprudence de la CEDH, on retient que « la protection de la vie et de la santé suppose la protection de l’environnement ». Pour résumé, cela implique que les États membres agissent et mettent en place des actions efficaces et durables, une nouvelle fois.
Dans la même suite d'idée, on retiendra un arrêt historique de la CEDH du 9 décembre 1994 où les juges précisaient que : « L’article 8 peut trouver à s’appliquer dans les affaires d’environnement que la pollution soit directement causée par l’État ou que la responsabilité de ce dernier découle de l’absence d’une réglementation adéquate de l’activité du secteur privé (…) » (CEDH, 9 décembre 1994, López Ostra c. Espagne, n° 16798/90).
On voit donc la même conclusion et les mêmes conséquences autant en droit constitutionnel interne, qu’en droit européen : l’État doit adopter des mesures adéquates et efficientes pour protéger les droits des individus et garantir la protection de l’environnement et de santé humaine.
Malgré ces textes contraignants et malgré la connaissance unanime des dangers climatiques, l’État n’a pas agi. Ainsi, il appartenait à la justice administrative de retenir la responsabilité fautive de l’État pour manquement à son devoir de protection de ses citoyens.
Ainsi, au titre de leur demande préalable :
« Les associations requérantes demandent réparation de leur préjudice moral et de celui de leurs membres et du préjudice écologique résultant des carences de l’État.
En effet, le préjudice moral des associations est à la fois direct, certain et personnel, dès lors que la carence de l’État porte directement atteinte à l’objet social des associations requérantes, que leurs rapports d’activité annuels établissent l’importance des actions menées, consistant notamment dans l’organisation de colloques, expositions ou autres manifestations, l’édition de supports d’information et de communication ou la conduite d’actions de terrain, notamment pour favoriser la prise de conscience des citoyens et des autorités publiques face à l’urgence climatique. En outre, s’agissant de Greenpeace et de la Fondation pour la Nature et l’Homme (FNH), elles sont agréées pour la protection de l’environnement au titre de l’article L. 141-1 du code de l’environnement
Ainsi, eu égard à leur objet, à leur ancienneté, à leur niveau d’expertise et à l’importance des actions menées par ces associations, les carences fautives de l’État ont porté atteinte aux intérêts collectifs qu’elles défendent et leur ont causé un préjudice moral certain, direct et personnel, dont elles sont fondées à demander réparation.
En outre, les préjudices moraux des membres des associations sont tout aussi directs, certains et personnels, dès lors que la carence de l’État porte directement atteinte à leur environnement et à leur santé en faisant peser sur eux les risques susmentionnés.
Enfin, les fautes commises par l’État ont porté et portent encore une atteinte grave aux éléments et aux fonctions des écosystèmes, ainsi qu’aux bénéfices collectifs tirés par l'homme de l'environnement et d’un système climatique stable. »
II. La solution du TA de Paris
Par un jugement du 3 février 2021, le TA de Paris reconnaissait l’existence d’un préjudice écologique lié au changement climatique et que la carence de l’État français à respecter ses objectifs (notamment en matière de réduction de gaz à effet de serre) engageait sa responsabilité.
Pour résumer, ce jugement signifie que l’État français est reconnu « coupable » de son inaction en matière écologique. Ainsi, le tribunal admet la réparation en nature du préjudice écologique (jugement complet disponible ici : http://paris.tribunal-administratif.fr/content/download/179360/1759761/version/1/file/1904967190496819049721904976.pdf).
En réalité, la juridiction administrative n’avait pas d’autres choix que de sanctionner l’État puisqu’en l’absence de sanction, elle aurait déchargé l’État de sa responsabilité régalienne en matière de protection de la santé publique et de l’environnement.
Important revirement ou petite avancée :
Qu’en est-il des réelles conséquences ?
III. Les conséquences
Ce jugement du 3 février 2021 se rapproche à un « jugement avant-dire droit » en droit français. Cela veut dire qu’il n’est pas définitif. En effet, un supplément d’instruction de 2 mois a été prononcé afin de déterminer les mesures devant être ordonnées à l’État pour réparer le préjudice causé. Il faudra donc attendre ces 2 mois pour connaître toutes les conséquences de cette décision et sa réelle utilité.
Quoi qu’il en soit, cette décision, déjà historique, nous envoie un signal positif, un signal favorable de la justice française pour la justice climatique. De plus, il soutient un autre arrêt historique du Conseil d’État du 19 novembre 2020 qui avait mis en demeure l’État de justifier sous 3 mois sa politique climatique en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre (CE, 19 nov. 2020, Commune de Grande-Synthe, disponible ici : https://www.conseil-etat.fr/fr/arianeweb/CE/decision/2020-11-19/427301).
Même si l’avancée juridique n’est que partielle, ou même faible, l’enjeu médiatique, la prévention et la sensibilisation du public sont immenses. Les retombées sociales sont une pierre de plus à l’édifice pour la construction d’une révolution écologique.
Pour aller plus loin : si la décision administrative n’est que française, elle reste historique en Europe et dans un monde capitalisé elle ne manquera pas d’impacter d’autres politiques.
La réduction des gaz à effet de serre, la création d’un service public de rénovation énergétique des logements, le développement massif des énergies renouvelables, toutes ces mesures sont fondamentales et ne sont que le début des actions efficientes à mettre en place.
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