It's not about the money, money, money
Que se passe-t-il lorsque nous devons acheter en magasin une nouvelle chemise pour la soutenance de notre rapport de stage, ou de belles noix de notre région grenobloise au marché du coin ?
Notre première possibilité est de payer « en liquide », « en cash », c’est-à-dire par le biais, soit de petites rondelles de métal frappées d’un symbole : des pièces, ou par de petits rectangles de papiers à l’effigie de quelqu’un et indiquant un nombre : des billets. On parle alors de « monnaie fiduciaire », du latin « fiducia » - la confiance - car la valeur monétaire frappée sur les pièces et les billets est supérieure à leur valeur intrinsèque (j'y reviendrai dans un prochain article).
Notre seconde possibilité est de payer par le biais d’un terminal de paiement électronique (ci-après « TPE »), boîtier lisant les données supportées par un petit rectangle en plastique orné de chiffres en relief et disposant d’une puce électronique : une carte bancaire. Nous pouvons également utiliser un autre document papier extrait d’un carnet sur lequel sont inscrites certaines de nos coordonnées : un chèque. On parle alors de « monnaie scripturale », du latin « scriptura » : l’écriture, car l’argent circule par un jeu d’écritures comptables permettant de transférer les fonds d’un compte à un autre.
Toutes ces possibilités peuvent ainsi nous permettre de payer notre superbe chemise fabriquée en Asie ou de belles noix pour l’apéro.

À première vue, il peut sembler étonnant que notre producteur local accepte d’échanger ses noix contre de simples papiers. Or c’est bien ici que réside le secret du système économique. On l’a dit : on parle de monnaie fiduciaire car elle repose sur la confiance. Notre producteur grenoblois choisit d’échanger le fruit de son travail contre ces pièces et billets car il sait que ces derniers seront acceptés plus tard par d’autres en échange de biens et/ou services qu’il souhaite recevoir.
Le « secret du système bancaire » se situe dans la confiance des individus dans le fait que les sommes obtenues grâce à une carte bancaire ou un chèque seront transférées du compte de son client vers le sien et que, plus tard, ce même « argent » sera accepté par d’autres.
Si la monnaie peut prendre plusieurs formes comme on l’a vu, elle peut également remplir plusieurs fonctions. Tantôt « intermédiaire des échanges » pour échanger noix contre pomme, tantôt « unité de compte » pour connaître le prix réel d’une noix « en termes » de tomate (par exemple 3 noix valent 1 tomate), ou encore tantôt « stockage de valeur » pour conserver au cours du temps le produit issu de la vente de notre kilo de noix à notre ami François.
Conceptuellement, la monnaie ne nécessite aucune capacité technique ou scientifique développée. Il s’agit plutôt d’une « capacité mentale » de l’individu. La monnaie exige la mise en place d’une réalité partagée basée sur la confiance de tous, d’une imagination commune construite collectivement. Si je crois en la valeur de mon billet de cinq euros, c’est que mon père y croit. Et si mon père y croit, c’est que le commerçant au coin de la rue y croit également. Lui-même y croit parce que son cousin y croit.
Cette confiance en la monnaie est fondamentale pour notre système économique, et plus largement, pour notre système politique et social.
Cette confiance est ainsi centralisée au sein de nos intermédiaires de confiance : les banques.
En Europe, au sein des structures bancaires, un individu lambda (appelé par exemple Damien) peut demander à sa banque, par exemple la Société Générale, de payer un autre individu (par exemple Xavier) ayant pour intermédiaire une autre banque, par exemple la BNP. L’ordre passera donc du compte de Damien, à la Société Générale, puis à la Banque Centrale Européenne (ci-après « BCE ») qui va enregistrer la transaction, avant de la transférer à la BNP, qui inscrira la transaction dans les comptes de Xavier qui obtiendra ainsi les fonds de Damien.
La confiance que Xavier et Damien placent dans leurs banques vient du fait qu’elles peuvent créer de la monnaie et qu’elles ont pour fonction de vérifier et d’authentifier que leur contrepartie dispose des fonds pour réaliser l’échange. Pour sa mission d’intermédiation entre les individus, la banque se rémunérera par divers frais de tenue de compte.
En 1991, Milton Friedmann a consacré un article sur la « monnaie de la pierre » de l’Île de Yap en Micronésie où il montre que la monnaie est avant tout une affaire de confiance dont la valeur repose sur le fait qu’elle est acceptée comme moyen de paiement et non sur sa valeur intrinsèque. En effet, il raconta qu’une famille de la région était reconnu de tous comme riche sans disposer de la moindre monnaie de la région, appelée « fei » et correspondant à des pierres de 30 cm à 3 m de long, car l’ayant perdu de son radeau lors d’une tempête[1].
Cela peut bien paraître peu logique et invraisemblable, mais en quoi cela est-il différent du titre de propriété de nos parents inscrits sur un contrat ou un cadastre chez le notaire, ou des actions détenues auprès de la Française des Jeux ?
En rien.
Ce que cela nous montre, c’est bien l’importance fondamentale que revêt la confiance en la monnaie. La monnaie peut donc se rapporter à tout ce que l’on veut, tant que tout le monde est d’accord sur ce fait. Si tout le monde veut payer en pièces de chocolat, alors les pièces de chocolat peuvent être une monnaie (attention à la chaleur).
Quand est-il donc lorsque cette confiance est ébranlée par les vices politiques et financiers à l’origine de crise financière ?
[1] Milton Friedmann, La monnaie et ses pièces, Dunod, 1993
En espérant que cet article vous ait plu, nous nous retrouverons très vite pour de plus amples discussions autour monnaie, et plus particulièrement d'une nouvelle forme de paiement : les cryptomonnaies. Bonne Lecture !