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Bitcoin, Ether, Lybra ... Monnaie(s)?

Dernière mise à jour : 21 déc. 2021

On l'a dit dans un précédent article, sur la blockchain de Satoshi Nakamoto, les opérations d’échanges se font en bitcoin (de « bit » : unité d’information binaire, et de l’anglais « coin » : pièce de monnaie).


De même, on a expliqué que les opérations réalisées sur la blockchain étaient vérifiés et horodatés toutes les dix minutes par des "mineurs" afin de créer des blocs appelés "preuve de travail".


A première vue, on peut donc penser que le bitcoin, et les autres cryptomonnaies (ether, ripple, lybra, xrp, etc) sont des monnaies puisqu'elles permettent de transférer quelque chose ayant une valeur à un autre individu.


En outre, pour inciter les membres à miner, les « mineurs » sont rémunérés par des bitcoins nouvellement créés par le système informatique.


A l’origine, chaque bloc validé rapportait 50 bitcoins à son mineur. Aujourd’hui, ce n’est plus que 12,5 bitcoins qu’un mineur peut obtenir car cette prime est divisée par 2 tous les 4 ans afin que le nombre de bitcoins ne dépasse jamais 21 millions[1]. Cette rareté programmée du Bitcoin est permise grâce au procédé dit de Halving qui divise par deux, approximativement tous les quatre ans, la récompense aux mineurs créant de nouveaux blocs de transaction. On estimait ainsi en 2017 que le chiffre d’affaires généré par l’activité de minage était de 2 milliards de dollars[2].


En pratique, on retrouve des « pools de minage » où des mineurs se rassemblent afin d’augmenter leur puissance de calcul et ainsi la rapidité par laquelle ils vont tenter de résoudre les problèmes mathématiques lors de la validation des blocs.


Se pose donc une autre question :


Si l’on parle de rémunération, si l’on estime que les mineurs sont payés pour leur travail, si l'on appelle ces actifs des crypto-MONNAIES, peut-on dire que ce sont des monnaies ?


I. Une monnaie ? (€, $, ...)


Selon l'Institut National de la Consommation (ci-après « INC »), une cryptomonnaie correspond à « une monnaie virtuelle qui repose sur un protocole informatique de transactions cryptées et décentralisées, appelé Blockchain, ou chaîne de blocs ». Cependant, si l’INC la désigne comme « monnaie virtuelle », l'unanimité n'est pas de mise.


Si l’on revient aux fonctions économiques de la monnaie étudiées plus tôt dans un précédent article, pour être considérée comme une monnaie, il faudrait qu’une cryptomonnaie soit intermédiaire des échanges, une unité de compte, et puisse réaliser le stockage de valeur.


Cependant, en l’espèce, et de manière objective, ces fonctions ne sont pas actuellement tout à fait remplies.

  • Pour le moment, on ne peut pas réaliser de transactions partout avec une cryptomonnaie étant donné qu’elles ne suivent pas de cours légal. Un commerçant, une entreprise, ou une administration peut refuser d’accepter un paiement en cryptomonnaie.

  • De plus, étant donné leur importante volatilité[3], la valeur de ces actifs numériques n’est pas suffisamment stable pour assurer son détenteur de conserver sa richesse dans le temps[4].

  • Enfin, on ne peut pas non plus considérer une cryptomonnaie comme une unité de compte car, du fait de leur importante volatilité, on ne peut de manière fiable comparer la valeur d’un crypto-actif à des biens et/ou services courants.

En outre, pour être qualifiée de monnaie, il faut également que la monnaie soit acceptée universellement dans une certaine zone géographique donnée. Or, à l’heure actuelle, aucune cryptomonnaie n’est acceptée universellement dans les échanges.

> En France, si l’on ne peut pas acheter sa baguette de pain avec un billet d’un dollar, on ne peut pas non plus acheter de beaux petits croissants avec un bitcoin (pour le moment ?).


De même, d’un point de vue juridique, l’article L111-1 du Code Monétaire et Financier (ci-après « CMF ») dispose que « la monnaie de la France est l’euro ». Il s’agit donc de la seule et unique monnaie ayant un cours légal en France. En conséquence, les crypto-actifs ne peuvent être qualifiés de monnaie en France.


Dans la même perspective, il est donc possible de refuser d’accepter un paiement en cryptomonnaie en France, sans contrevenir aux dispositions de l’article R642-3 du Code Pénal qui sanctionne le refus d’accepter les billets et pièces libellés en euros[5].


II. Une monnaie électronique ?


On peut également se demander si le bitcoin est une « monnaie électronique » ?

  • Et l’on pourrait répondre à la fois par la positive puisque cet actif s’échange sur des réseaux informatiques ;

  • Mais également par la négative puisqu’on ne la considère pas comme une monnaie.

De plus, on sait également que la monnaie actuellement échangée au sein des systèmes commerciaux et déjà largement électronique (carte bancaire, virements, etc) puisqu’en Europe la masse monétaire qui est d’environ onze mille milliards d’euros (11.000.000.000.000 €) n’est représentée que par mille milliards de pièces et de billets, c’est-à-dire que plus de 90% des transactions se font par de la monnaie électronique, ou plutôt, par de la monnaie scripturale.


En outre, l’article L315-1 du CMF met en valeur que « la monnaie électronique est une valeur monétaire qui est stockée sous une forme électronique, y compris magnétique, représentant une créance sur l'émetteur, qui est émise contre la remise de fonds aux fins d'opérations de paiement (…) et qui est acceptée par une personne physique ou morale autre que l'émetteur de monnaie électronique ». Or, les actifs numériques ne répondent pas non plus juridiquement à la définition de la monnaie électronique puisqu’ils ne sont pas émis contre remise de fonds.


En conséquence, ces crypto-actifs ne sont pas assortis d’une garantie légale de remboursement à tout moment et à la valeur nominale en cas de paiement non autorisé. On comprend donc, comme le précisent la Banque de France, que les cryptomonnaies n’assurent « aucune garantie de sécurité, de convertibilité et de valeur, contrairement à la monnaie ayant cours légal[6]».


Pour aller encore plus dans le détail, on peut prendre l'exemple de Coincheck. En 2018, la plateforme japonaise Coincheck a fait l’objet d’un massive piratage pour environ 530 millions de dollars de pertes. Or, suite à cette escroquerie, il n'y avait AUCUNE possibilité de recours face aux escrocs ayant volés ces actifs numériques puisque, comme tout était anonyme et transparent, il n'y avait aucune garantie légale de remboursement.


On l'a dit précédemment dans un article, c'est également un risque important des utilisateurs de ces blockchains et actifs numériques.


III. Des actifs numériques ?


Si l'on prend alors les caractéristiques d’un actif numérique et de ses différences avec la monnaie fiduciaire, on peut retrouver 4 aspects prédominants :

  • Premièrement, un actif numérique est décentralisé. Et la technologie de la blockchain hébergeant ces actifs est basée sur un réseau, où les échanges se font d’égal à égal, sans contrôle d’aucune institution ou autorité centrale, comme une banque.

  • De plus, l'actif numérique n'est pas inflationniste. Pour le bitcoin par exemple, ce crypto-actif ne peut être inflationniste du fait de son nombre limité à 21 millions. Aucun bitcoin supplémentaire ne peut être créé pour augmenter l’offre comme pourrait le faire une banque centrale.

  • En outre, ces cryptomonnaies sont anonymes. Grâce à la cryptographie asymétrique, les opérations réalisées sont anonymes puisque chaque utilisateur détient sa clé de déchiffrement privée pour l’identifier, mais les autres membres ne la connaissent pas.

  • Les crypto-actifs sont également transparents. Comme chaque nœud du réseau détient une copie de l’ensemble des transactions depuis sa création, chaque opération est connue de tous de manière totalement transparente et, par exemple, chacun peut ainsi savoir le nombre de bitcoins stockés dans chaque clé de déchiffrement publique (sans connaître son détenteur).

Etant donné que les cryptos remplissent ici tous les critères d'un actif numérique, on peut les désigner comme tel. Toutefois, cela ne nous aide pas beaucoup pour notre étude, notamment sur le fait de savoir si ces actifs peuvent être considérés comme des instruments de paiement.


IV. Instruments de paiement


En effet, une qualification proche de celle de la monnaie pourrait être attribuée à ces cryptos-actifs : celle d’instrument de paiement. En effet, ces actifs numériques pourraient être appréhendés comme des moyens de faire circuler des valeurs, comme le sont les tickets-restaurants, ou les jetons de casinos.


Concernant les services de paiement, une directive de 2015[7] vient définir la notion d’instrument de paiement en précisant qu’il s’agit de « tout dispositif personnalisé et/ou ensemble de procédures convenues entre l’utilisateur de services de paiement et le prestataire de services de paiement et utilisé pour initier un ordre de paiement ».


A la lumière de cette définition, rien ne semble exclure les cryptos-actifs de cette catégorie notamment car la blockchain et l’écosystème crypto peuvent répondre à la description de procédure permettant d’initier des ordres de paiement. En effet, toute transaction faite sur la blockchain se fait par un protocole numérique permettant à un individu d’exécuter un paiement.


En conséquence, l’échange de bitcoin pourrait alors constituer un service de paiement tombant dans le champ d’application de cette directive. Dès lors, tout prestataire de service de cryptos-actifs devrait alors répondre aux exigences prévues par la réglementation afin d’être qualifié « d’établissement de paiement » conformément à la directive 2015/2366 et obtenir un agrément pour proposer ses services.


Toutefois, dès lors qu’on estime que les cryptos-actifs tel que le bitcoin rentre dans la catégorie d’instrument de paiement, il est opportun de se questionner sur les conséquences et impact de cette qualification à la lumière des exigences s’appliquant aux marchés financiers, et à la lutte contre le blanchiment d’argent et la lutte contre le terrorisme.


V. Conclusion


Face à l'absence de régime juridique applicable à ces actifs numériques et afin de prévenir les risques et éviter toute dérive, une réglementation est exigée.

Notamment pour protéger ses utilisateurs.

Mais également pour préserver l’intégrité et un fonctionnement stable des marchés notamment dans le cadre de la lutte contre le blanchiment d’argent et contre le financement du terrorisme.


En outre, compte-tenu du caractère transfrontalier de ces activités, notamment par l’utilisation d’Internet, une coordination européenne, voire internationale, sera nécessaire pour maîtriser ces risques.


Quoi qu’il en soit, vu la difficulté pour répondre à la problématique posée, et en présence de la crise économique et financière du continent européen, il semble que ce soit le moment de se poser les bonnes questions et de repenser la politique intérieure européenne notamment concernant la concurrence entre monnaies classiques et monnaies alternatives. En effet, la coexistence de deux systèmes monétaires avec d’une part, des cryptomonnaies décentralisées, désintermédiées, et neutres, opposées d’autre part à des monnaies publiques guidées par les politiques de banques centrales, pourrait aboutir à la transformation et à la création d’un nouveau système monétaire mondial, privilégiant l’un ou l’autre modèle, ou assemblant les bénéfices de chacun pour surmonter les crises à venir.


En ce sens, en 2015, Frédéric Hayek introduisait son ouvrage en citant Adam Smith : « (...) je crois que dans tous les pays du monde, la cupidité et l’injustice des princes et des gouvernants, abusant de la confiance de leurs sujets, ont progressivement diminué la quantité réelle de métal qui avait été à l’origine contenue dans les monnaies ».


Peut-être serait-il alors intéressant d’imaginer la création par les banques d’une ou plusieurs monnaies numériques et digitales afin de prendre en compte les remarques de l’écosystème crypto afin de les implanter au sein des institutions bancaires et financières actuelles pour les moderniser et tenter de retrouver une stabilité financière pour la zone euro ? (On parlera de cette hypothèse dans un prochain article également).


En espérant que ce nouvel article sur les cryptomonnaies et la blockchain vous ait plu, je vous remercie pour votre soutien et votre bienveillance et espère vous retrouver la semaine prochaine pour un nouvel article. Bonne lecture !

[1] On retrouve 210.000 tranches de 10 minutes sur une période de 4 ans. Ainsi, tous les 210.000 blocs intégrés au sein de la chaîne, on vient diviser la prime des mineurs ayant réalisés l’authentification d’un bloc. Au cours des 4 premières années, lorsque la prime était de 50 bitcoins, 10.500.000 bitcoins ont été créés (210.000 multiplié par 50 = 10.500.000). Vraisemblablement, il n’y aura plus de bitcoins distribués aux mineurs d’ici l’an 2140. [2] J-P Landau, Les crypto-monnaies, rapport au ministre de l’Economie et des Finances, 4 juillet 2018

[3] La volatilité d’un actif numérique s’explique du fait de la théorie générale de l’offre et de la demande. Si de nombreux investisseurs souhaitent acquérir un crypto-actif pour une certaine quantité d’actifs « liquides », alors le cours va augmenter. Or, si un utilisateur détenteur de crypto-actifs souhaite vendre mais ne trouve pas d’acquéreur, alors le cours va baisser car ses actifs seront devenus « illiquides ». [4] Pour illustrer la volatilité des actifs numériques, on peut citer l’exemple de la valorisation du bitcoin lors de la période 2017-2018. En effet, au 1er janvier 2017, sa valeur était évaluée à environ 946€, atteignant au 12 décembre la somme de 15.992€, avant de redescendre le 16 mai 2018 à environ 7.000€ (Bloomberg, CAC40 : Bourse de Paris ; coinmarketcap.com)

[5] « Le fait de refuser de recevoir des pièces de monnaie ou des billets de banque ayant cours légal en France selon la valeur pour laquelle ils ont cours est puni de l'amende prévue pour les contraventions de la 2e classe. » [6] Banque de France, Focus, n°16, mars 2018

[7] DIRECTIVE (UE) 2015/2366 DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL du 25 novembre 2015 concernant les services de paiement dans le marché intérieur, modifiant les directives 2002/65/CE, 2009/110/CE et 2013/36/UE et le règlement (UE) no 1093/2010, et abrogeant la directive 2007/64/CE, L_2015337FR.01003501.xml. Disponible via : https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:32015L2366, consulté le 13 décembre 2021

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